Je prends le risque de continuer l'échange ; advienne que pourra...
Je ne suis pas en total désaccord avec la vision du Pater ; simplement, le modèle physique sur lequel son raisonnement s'appuie se fonde sur des hypothèses simplificatrices qui ne sont plus vérifiées aux limites et les conditions climatiques extrêmes, donc les niveaux d'adhérence qui les caractérisent, marquent précisément ces limites.
Concrètement, cela ne change pas grand chose pour l'utilisateur moyen : il ira au tas que sa voiture soit lourde ou légère et cela lui fera une belle jambe de savoir s'il a ou non grapillé des pouillèmes de quelque chose grâce à ses kilos de ferraille en plus ou en moins.
En revanche, le raisonnement théorique doit de mon point de vue être restitué dans sa rigueur intégrale, en particulier pour faire tomber une idée bien trop répandue, notamment chez les possesseurs de gros véhicules, à savoir que la masse d'un véhicule n'influence pas son adhérence.
Tout d'abord, considérer que l'adhérence est, pour un état de la chaussée donné, une variable indépendante des autres, est une erreur.
Le graphe ci-après montre la variation de l'adhérence mobilisable en fonction de la vitesse pour l'ensemble des routes de France et de Navarre. Celui-ci concerne une chaussée humide ; le résultat est globalement le même pour une chaussée sèche, les courbes sont juste décalées vers le haut et un peu plus plates.
Sur chaussée très glissante, la courbe accuse une forme beaucoup plus creuse (l'adhérence chute encore plus rapidement) et les valeurs sont en rapport (jusqu'à 95% de moins).
Les mesures sont réalisées, soit par essai de freinage en direct, soit en mesurant le couple de rappel exercé par un attelage dont l'angle d'envirage de la roue est de 20° (matériel français, d'autres pays utilisent d'autres valeurs). La corrélation entre les deux principes de mesure est suffisamment bonne pour ne pas justifier de commentaire particulier.
Ici, il s'agit d'essais de freinage direct, la grandeur mesurée se nommant le Coefficient de Frottement Longitudinal (CFL).
Le terme de "premier décile" désigne les 10% de chaussées les moins adhérentes ; celui de neuvième décile, les 10% les plus adhérentes. Les comparaisons temporelles de fuseau montrent les efforts faits ces trente dernières années par la profession pour maintenir l'adhérence la plus constante possible en fonction de la vitesse.
On en déduit sans peine que la courbe idéale doit être la plus plate possible, le fuseau le plus étroit possible et les valeurs les plus élevées possible.
Malheureusement...
Les explications de ces variations dépassent le cadre de cette inter ; seul le résultat est significatif : il faut simplement en retenir que plus on roule vite, plus l'adhérence est faible alors que la demande croît comme le carré de la vitesse du véhicule.
C'est ce qui nous conduit, nous autres gestionnaires, pourtant pas vraiment képis dans l'âme , à limiter les vitesses...
Je sais bien que les routes ne sont empruntées que par des pilotes professionnels, mais bon...
Mais on tire néanmoins de l'exercice des enseignements qu'il est bon de garder à l'esprit.
Les courbes ci-après, si elles étaient représentées sur le même graphe que celles traduisant le comportement sur chaussée normalement sèche ou humide, seraient à peine visibles. Donc, pour ceux qui ne l'auraient pas (encore) compris, bienvenue dans mon monde : celui des !!!
Plus une roue porte de poids, plus elle peine à adhérer.
On pourrait effectivement augmenter la surface de contact au sol de cette roue afin de limiter l'"évaporation" de l'adhérence ; mais ce n'est pas si simple car, en physique, tout est affaire de compromis.
Augmenter la surface de contact du pneu avec le sol augmente les frottements sur chaussée normalement adhérente, donc les pertes de puissance.
Augmenter la surface de contact du pneu avec le sol augmente la raideur de la dérive des pneus ; or pour qu'un pneu guide efficacement, il faut qu'il dérive un minimum.
Enfin, augmenter la surface de contact du pneu avec le sol augmente le moment d'auto-alignement des pneus, en clair, alourdit notoirement la direction lors des appuis latéraux.
En résumé, plus un véhicule est lourd, plus il sollicite l'adhérence, donc plus son point d'équilibre se déplace vers la partie droite de la courbe.
Je ne parlerai pas non plus des conséquences d'une très faible adhérence sur le moment d'auto-alignement, qui conditionne la stabilité d'un véhicule.
En moyenne, l'adhérence maximale sur chaussée normale est obtenue, pour des carcasses radiales, pour un angle de dérive de l'ordre de 4° environ. Les calculs théoriques qui ont abouti aux relations vitesse/courbure/dévers sur lesquelles se fondent les tracés routiers prennent en compte un glissement partiel de 5°, seuil légèrement sécuritaire.
Sur route à faible adhérence, les expériences montrent que les angles de dérive sont sensiblement plus élevés : un conducteur normal donnera facilement - et inconsciemment- un bonne dizaines de degrés de braquage en ligne droite, tout simplement pour contenir l'effet de dérapage dû au simple dévers. Or seuls les pilotes expérimentés en ont conscience ; ils retireront du braquage lorsqu'ils devront réduire les gaz, ce qui leur évitera un décrochage incontrôlé du véhicule (ce que je peine à faire, comme je l'ai indiqué au début de ce post).
Si on combine cela avec les courbes CFL/vitesse (j'en ai pas trouvé dans mon fouillis, désolé), on conclut sans peine qu'au delà de 55 km/h (je parle de mémoire) l'adhérence devient virtuellement nulle. En d'autres termes, en roulant à 100 km/h sur la glace sans crampons, au moindre éternuement, c'est le décor...
Les réactions que traduisent les courbes ci-dessus sont donc encore un peu optimistes .
Etant d'un naturel entêté , je reviens un instant sur mon comparatif 19/26 tonnes.
Voici pourquoi :
Imaginons deux roues portant chacune la moitié de cette charge, soit 1 100 DaN. Le graphe indique que chaque roue passe au sol 410 DaN, soit 820 DaN pour deux roues. En rajoutant un essieu et à masse totale constante, on a majoré l'effort de traction de 85%.
C'est le second principe de base de la traction intégrale, le premier étant de mobiliser tout le poids repris par les essieux : plutôt que d'aller chatouiller les courbes qui régissent les terrains à faible adhérence là où elles sont les plus pénalisantes, autrement dit les plus plates (c'est à dire vers la droite du graphe ci-dessus) on préfère réduire les sollicitations au sol en réduisant le rapport effort horizontal/effort vertical pour le ramener vers un comportement plus sympathique.
C'est typiquement ce qui se passe sur les terrains gras comme la terre, dont la trombine de la courbe caractéristique est assez proche de celle de la neige : en réduisant la charge verticale à la roue ou en réduisant la demande d'adhérence, on se décale sur la partie gauche de la courbe, la plus raide, là où les gains de motricité sont les plus efficients because un coefficient d'adhérence plus élevé (Cf annotations sur le graphe, qui traduisent le gain de motricité pour 1 000 LbF).
On retrouve toujours la même chanson : moins une roue est chargée (tout est relatif, évidemment) plus elle favorise l'adhérence à cause d'une augmentation de µ.
Si on fait la démonstration inverse, on constate qu'un doublement de la charge verticale sur un roue n'entraîne que 8% d'augmentation de l'effort de guidage ou de traction/freinage mobilisable.
Alors, oui, bien sûr, ce ne sont que des pourcentages appliqués à des valeurs de base très faibles. Un véhicule 50% plus léger gagnera, en vitesse de passage dans un virage verglacé, une poignée de mètres par seconde qu'il faudra être super motivé et surtout bien outillé pour mesurer...
Cette différence, tout le monde s'en fout, je ne me fais guère d'illusions à ce sujet. Mais je pense aux conséquences psychologiques, à ce qu'il y a dans la tête de ceux qui roulent dans leurs Cayenne, Touareg et autres miroirs à ego qu'il m'arrive parfois de croiser avec ma Super 5 GTD hors d'âge quand je n'ai pas pu prendre le Land.
Je ne pouvais décemment pas laisser dire qu'une semi passe sur la glace comme une Marden...